A LA MEMOIRE DE SAMUEL
Il avait 47 ans. Il avait un petit garçon de 5 ans. Il est mort, décapité, sous les coups du fanatisme.
Et je pleure.
Il enseignait l’histoire et la géographie, l ’éducation civique et morale.
Il était près de ses élèves, il les aimait, j’ai moi-même été enseignante en collège, en lycée. Je sais ce que c’est.
Et je pleure.
J’ai enseigné à mes élèves ce qu’étaient la Liberté, l’Egalité, la Fraternité et la Laïcité et je pensais que je formais une jeunesse pour un monde meilleur, plus juste, plus tolérant.
Professeur de Lettres je trouvais inconcevable que mes élèves ne connaissent pas la philosophie des Lumières, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, qu’ils aillent en CAP, BEP après la 3 -ème ou qu’ils se dirigent vers le bac, alors j’adaptais les textes difficiles, je clarifiais, j’avais le sentiment d’une nécessité. Les valeurs de notre république ont guidé Samuel Paty et elles ont provoqué sa mort.
Et je pleure.
La relation avec les parents n’est pas toujours simple et des conflits se développent parfois à l’occasion du choix d’une œuvre ou de telle ou telle partie du programme. Je me souviens d’un épisode de ma carrière où je faisais lire en 3ème Elise ou la vraie vie de Claire Etcherelli qui avait obtenu le Prix Femina en 1967 et qui racontait, sur fond de critique sociale du travail à la chaîne et de guerre d’Algérie ,l’histoire d’amour entre une Française et un Algérien sur le sol français. J’avais eu maille à partir avec un parent, membre du FN qui voulait que je retire ce roman de mon programme…J’avais eu le soutien de ma hiérarchie et je suis allée jusqu’au bout de l’étude. Je me souviens …
Et je pleure.
Mais à l’époque il n’y avait pas les réseaux sociaux pour attiser la haine et étaler la vie des gens, donner un nom, une adresse pour atteindre l’enseignant. Pauvre Samuel , pauvres professeurs idéalistes qui veulent croire à la liberté d’expression dans ce monde gangréné par le fanatisme et le terrorisme !
Et
je pleure.
Mais si je pleure en pensant à lui, à sa
famille, à la sidération d’un pays (qui n’aime pas toujours ses
enseignants et qui finalement ignore tout de ce métier), je conserve
intacte ma capacité de m’indigner et de me révolter. Oui, il faut
continuer de défendre nos valeurs, la liberté d’expression est
fondamentale, continuez, vous les profs, de faire votre métier,
d’ouvrir les consciences, Samuel est devenu notre martyr, notre
symbole et c’est à sa mémoire que vous le ferez.
Moi je suis à la retraite mais je ferai partie jusqu’à ma mort de ce « corps enseignant », comme on dit, dont je suis « un membre » et dont on a arraché un autre membre de manière abjecte, en éclaboussant de son sang toute notre profession.
Et je te pleure, Samuel.
Françoise Decloet